« Car aucun hypocrite ne viendra en sa présence. » (Jb 13,16 Vg) Puisqu’il est constant qu’à sa venue le juge placera les agneaux à sa droite et les boucs à sa gauche, pour quelle raison est-il dit maintenant que ne viendra pas en sa présence un hypocrite qui, s’il doit être, bien sûr, parmi les boucs, sera présent à la gauche de son juge ?
Mais, il faut le savoir, nous venons en présence du Seigneur de deux manières. En ce monde d’abord, lorsque, pesant scrupuleusement nos péchés, nous nous mettons en sa présence et que dans les larmes nous devenons nos propres juges. Oui, toutes les fois que nous reprenons conscience de la puissance de notre Créateur, nous nous tenons en présence du maître. (…)
Nous viendrons aussi en présence du Seigneur d’une autre manière, le jour du jugement dernier, quand nous comparaîtrons devant son tribunal. (…) Lorsque le juste contemple la rigueur du juge qui doit venir, il se remet en mémoire ses péchés, il se lamente sur le mal qu’il a commis et avec rigueur il devient son propre juge, afin de ne pas être jugé, mais inversement, plus l’hypocrite plaît extérieurement aux hommes, plus il dédaigne de se regarder intérieurement lui-même ; il va s’abandonnant tout entier aux paroles de son entourage et il s’imagine être un saint parce qu’il se croit tenu pour tel par les hommes. Et voilà qu’en dispersant son esprit parmi les paroles qui le louent, jamais il ne considère en quoi il offense le juge intérieur ; de sa rigueur il ne redoute rien parce qu’il croit lui avoir plu tout autant qu’il plaît aux hommes. (…)
C’est donc sagesse de dire : « L’hypocrite ne viendra pas en sa présence », car il ne se met pas devant les yeux la rigueur de Dieu, lorsqu’il brûle de plaire aux yeux des hommes. Mais, s’il scrutait son âme, s’il se mettait lui-même en présence de Dieu, il ne serait plus un hypocrite.
Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)