Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix [Édith Stein] (1891-1942)
Pourquoi donc ne croirions-nous pas que ce qui est dit est de Dieu, puisque c’est dit et par des petits et à des petits ? Oui, mes sœurs, Dieu prend un tel plaisir que, on peut le dire, c’est son grand plaisir de se faire connaître aux humbles. Belles paroles de Jésus-Christ, qui montrent bien que ce n’est pas dans les musées ni chez les princes que Dieu prend ses délices ! Il le dit en un endroit de l’Écriture : « Ô mon Père, je vous loue et vous remercie de ce que vous avez caché vos mystères aux grands du monde et les avez manifestés aux humbles. » Il n’a que faire de la pompe et de l’ornement extérieur ; mais il se plaît dans une âme humble, dans une âme qui est instruite de lui seul et ne fait point de cas de la science du monde.
Seigneur Jésus Christ, faites encore que de nous ne soit fait « qu’un cœur et qu’une âme » (Ac 4,32), car alors il y aura « une grande tranquillité » (Mc 4,39). Mes chers auditeurs, je vous exhorte à l’amitié et à la bienveillance entre vous, et à la paix entre tous ; car si nous avions la charité entre nous, nous aurions la paix et nous aurions le Saint-Esprit. Il faut se rendre dévot et prier Dieu…, car les apôtres étaient persévérants dans la prière… Si nous nous mettons à faire des prières ferventes, le Saint-Esprit viendra en nous et dira : « La paix soit avec vous ! C’est moi ; n’ayez pas peur » (cf Mc 6,50)… Que devons-nous demander à Dieu, mes frères ? Tout ce qui est pour son honneur et le salut de vos âmes, et en un mot l’assistance du Saint-Esprit : « Envoie ton Esprit et tout sera créé » (Ps 103,30) — la paix et la tranquillité…
Il faut demander cette paix, afin que l’Esprit de paix vienne sur nous. Il nous faut aussi rendre grâces à Dieu de tous ses bienfaits, si nous voulons qu’il nous donne des victoires qui sont commencement de paix ; et pour obtenir le Saint-Esprit, il faut remercier Dieu le Père de ce qu’il l’a envoyé d’abord sur notre chef Jésus Christ, notre Seigneur, son Fils…— car « nous recevons tout de sa plénitude » (cf Jn 1,16) — et de ce qu’il l’a envoyé sur ses apôtres pour nous le communiquer par leurs mains. Il nous faut remercier le Fils : en tant que Dieu, il envoie l’Esprit sur ceux qui s’y disposent. Mais surtout, il faut le remercier de ce qu’en tant qu’homme il nous a mérité la grâce de recevoir ce divin Esprit…
Comment Jésus Christ a-t-il mérité la venue du Saint-Esprit ? Lorsque « en inclinant la tête il remit l’esprit » (Jn -19,30) ; car en donnant son dernier soupir et son esprit au Père, il mérita que le Père envoie son Esprit sur son corps mystique.
L’évangélisation obéit au mandat missionnaire de Jésus : « Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28,19s)… Le Ressuscité envoie les siens prêcher l’Évangile en tout temps et en tout lieu, pour que la foi en lui se répande partout sur la terre.
Dans la Parole de Dieu apparaît constamment ce dynamisme de « la sortie » que Dieu veut provoquer chez les croyants. Abraham a accepté l’appel à partir vers une terre nouvelle (Gn 12,1) ; Moïse a écouté l’appel de Dieu : « Va, je t’envoie » (Ex 3,10), et a fait sortir le peuple vers la terre promise ; à Jérémie il dit : « Tu iras vers tous ceux à qui je t’enverrai » (Jr 1,7)… Nous sommes tous appelés à cette nouvelle « sortie » missionnaire. Tout chrétien et toute communauté discernera quel est le chemin que le Seigneur demande, mais nous sommes tous invités à accepter cet appel : sortir de notre propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile.
La joie de l’Évangile qui remplit la vie de la communauté des disciples est une joie missionnaire. Les soixante-dix disciples en font l’expérience, eux qui reviennent de la mission pleins de joie (Lc 10,17). Jésus l’a vu et exulte de joie dans l’Esprit Saint… Cette joie est un signe que l’Évangile a été annoncé et donne du fruit. Mais elle a toujours la dynamique de l’exode et du don, du fait de sortir de soi, de marcher et de semer toujours de nouveau, toujours plus loin. Le Seigneur dit : « Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, afin que j’y prêche aussi, car c’est pour cela que je suis sorti » (Mc 1,38)… Fidèle au modèle du maître, il est vital qu’aujourd’hui l’Église sorte pour annoncer l’Évangile à tous, en tous lieux, en toutes occasions, sans hésitation, sans répulsion et sans peur.
Après la prise de tant de gros poissons, « Simon-Pierre monta dans la barque et tira à terre le filet. » Je suppose que vous avez saisi pourquoi c’était Pierre qui a tiré le filet à terre. C’est à lui, en effet, que la sainte Église a été confiée, c’est à lui qu’il a été dit personnellement : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Pais mes brebis. » Ainsi, ce qui dans un deuxième temps a été clairement énoncé en paroles est d’abord signifié par une action.
C’est le prédicateur de l’Église qui nous sépare des flots de ce monde ; il est donc nécessaire que Pierre mène à terre le filet plein de poissons. Et il a tiré en personne les poissons sur la terre ferme du rivage, puisqu’il a fait connaître aux fidèles, par sa sainte prédication, l’immutabilité de la patrie éternelle. Il l’a fait par ses paroles comme par ses épîtres ; il le fait encore chaque jour par ses miracles. Toutes les fois qu’il nous porte à l’amour du repos éternel, toutes les fois qu’il nous détache du tumulte des choses de ce monde, ne sommes-nous pas des poissons pris dans les filets de la foi, qu’il tire au rivage ?
La Judée en rébellion avait chassé la paix de la terre…et jeté l’univers dans son chaos primordial… Chez les disciples aussi, la guerre sévissait ; la foi et le doute se donnaient des assauts furieux… Leurs cœurs, où la tempête faisait rage, ne pouvaient trouver nul havre de paix, nul port calme.
À ce spectacle, le Christ qui sonde les cœurs, qui commande aux vents, qui maîtrise les tempêtes et d’un simple signe change l’orage en un ciel serein, les a raffermis de sa paix en disant : « La paix soit avec vous ! C’est moi ; ne craignez rien. C’est moi, le crucifié, le mort, l’enseveli. C’est moi, votre Dieu devenu pour vous homme. C’est moi. Non pas un esprit revêtu d’un corps, mais la vérité même faite homme. C’est moi, vivant entre les morts, venu du ciel au cœur des enfers. C’est moi que la mort a fui, que les enfers ont redouté. Dans son effroi, l’enfer m’a proclamé Dieu. N’aie pas peur, Pierre, toi qui m’as renié, ni toi Jean, toi qui as pris la fuite, ni vous tous qui m’avez abandonné, qui n’avez songé qu’à me trahir, qui ne croyez pas encore en moi, alors même que vous me voyez. N’ayez pas peur, c’est bien moi. Je vous ai appelés par la grâce, je vous ai choisis par le pardon, je vous ai soutenus de ma compassion, je vous ai portés en mon amour, et je vous prends aujourd’hui, par ma seule bonté. »
Aux disciples d’Emmaüs qui demandaient à Jésus de rester « avec » eux, ce dernier a répondu par un don beaucoup plus grand : il a trouvé le moyen de demeurer « en » eux par le sacrement de l’eucharistie. Recevoir l’eucharistie, c’est entrer en communion profonde avec Jésus. « Demeurez en moi, comme moi en vous » (Jn 15,4). Cette relation d’union intime et mutuelle nous permet d’anticiper, en quelque manière, le ciel sur la terre. N’est-ce pas là le plus grand désir de l’homme ? N’est-ce pas cela que Dieu s’est proposé en réalisant dans l’histoire son dessein de salut ? Il a mis dans le cœur de l’homme la faim de sa Parole (cf Am 8,11), une faim qui sera assouvie uniquement dans l’union totale avec lui. La communion eucharistique nous est donnée pour « nous rassasier » de Dieu sur cette terre, dans l’attente que cette faim soit totalement comblée au ciel.
Mais cette intimité spéciale, qui se réalise dans la communion eucharistique, ne peut pas être comprise d’une manière appropriée, ni pleinement vécue, hors de la communion ecclésiale… L’Église est le Corps du Christ : on chemine « avec le Christ » (v. 15) dans la mesure où on est en relation avec son Corps. Le Christ pourvoit à la création et à la promotion de cette unité grâce à l’effusion de l’Esprit Saint ; et lui-même ne cesse de la promouvoir à travers sa présence eucharistique. En effet, c’est précisément l’unique pain eucharistique qui fait de nous un seul Corps. L’apôtre Paul l’affirme : « Puisqu’il n’y qu’un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain » (1Co 10,17).
En quelle saison se réveille le Sauveur ? Dans le Cantique des Cantiques il est dit : « L’hiver est passé, la pluie a cessé, les fleurs ont apparu sur notre terre… » (2,11-12). Est-ce que la terre n’est pas actuellement pleine de fleurs… ? Comme le mois d’avril est arrivé, c’est désormais le printemps. Or, c’est en cette saison, c’est en ce premier mois du calendrier hébraïque, que l’on célèbre la Pâque, autrefois en symbole, maintenant en réalité…
Un jardin fut le lieu de la sépulture du Seigneur… Et que va dire celui qui est enseveli dans le jardin ? « J’ai récolté ma myrrhe avec mes aromates, la myrrhe et l’aloès avec tous les parfums » (Ct 5,1 ;4,14), car tout cela symbolise la sépulture. Les évangiles disent aussi : « Les femmes vinrent au tombeau apportant les aromates qu’elles avaient préparés »
(Lc 24,1)… Car, avant d’entrer dans la chambre haute en traversant les portes closes, l’Époux et le médecin des âmes avait été cherché par des femmes au cœur fort. Les saintes femmes vinrent au tombeau, et elles cherchaient celui qui était ressuscité… Marie vint, selon l’évangile, se mit à chercher et ne trouva pas, puis elle recueillit le message des anges et enfin elle vit le Christ. Ces circonstances avaient-elles été décrites elles aussi ? Oui, car Marie dit dans le Cantique : « Sur ma couche, la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime » (3,1)… « Marie, dit l’évangile, vint alors qu’il faisait encore nuit. » (Jn 20,1) « La nuit, je l’ai cherché ; je l’ai cherché et je ne l’ai pas trouvé. » Et dans l’évangile Marie dit : « Ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où ils l’ont mis. » Mais les anges survinrent alors : « Pourquoi chercher parmi les morts celui qui est vivant ? » (Lc 24,5)… Marie ne le reconnaissait pas, et c’est en son nom que le Cantique des Cantiques disait : « N’avez-vous pas vu celui que mon cœur aime ? » « À peine avais-je croisé les gardes (il s’agit des deux anges), j’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi et ne l’ai pas lâché. » (3,3-4)
« Voici le jour que le Seigneur a fait ; passons-le dans la joie et dans l’allégresse ! » (Ps 117,24) Pourquoi ? Parce que le soleil n’est plus obscurci, mais tout s’illumine ; le voile du Temple n’est plus déchiré, mais l’Église est révélée ; nous ne tenons plus des rameaux de palmier, mais nous entourons les nouveaux baptisés.
« Voici le jour que le Seigneur a fait »… Voici le jour au sens propre, le jour triomphal, le jour consacré à fêter la résurrection, le jour où l’on se pare de grâce, le jour où l’on partage l’Agneau spirituel, le jour où l’on abreuve de lait ceux qui viennent de naître, le jour où se réalise le plan de la Providence en faveur des pauvres. « Passons ce jour dans la joie et dans l’allégresse »…
Voici le jour où Adam a été libéré, où Ève a été délivrée de sa peine, où la mort sauvage a frémi, où la puissance des pierres a été brisée, où les verrous des tombeaux ont été arrachés…, où les lois immuables des puissances des enfers ont été abrogées, où les cieux se sont ouverts quand le Christ, notre Maître, est ressuscité. Voici le jour où, pour le bien des hommes, la plante verdoyante et fertile de la résurrection a multiplié ses rejetons dans tout l’univers comme dans un jardin, où les lys des nouveaux baptisés se sont épanouis…, où la foule des croyants se réjouissent, où les couronnes des martyrs reverdissent. « Voici le jour que le Seigneur a fait ; passons-le dans la joie et dans l’allégresse. »