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Archive pour le mot-clef ‘St Grégoire le Grand’

La petitesse d’une semence et l’espérance de la résurrection

mardi 31 octobre 2023

En considérant que l’esprit se libère de la chair, que la chair se change en pourriture, que la pourriture est réduite en poussière, que la poussière est réduite à ses éléments au point de devenir invisible aux yeux de l’homme, quelques esprits désespèrent de pouvoir ressusciter ; ils ont sous les yeux des os desséchés : que ces os se revêtent de leur chair et puissent retrouver la verte fraîcheur de la vie, ils n’ont pas une telle foi. Eh bien, s’ils ne gardent pas la foi en la résurrection par obéissance, du moins devraient-ils la garder par raison.

Qu’imite, en effet, chaque jour le monde en ses propres éléments ? N’est-ce pas notre propre résurrection ? (…) Considérons donc la petitesse d’une semence d’arbre jetée en terre pour produire un arbre, et représentons-nous, si nous en sommes capables, où était caché dans l’exiguïté de cette semence l’arbre tellement immense qui en est sorti, où donc était le bois, l’écorce, la verdure du feuillage, la profusion des fruits. Distinguait-on rien de tel dans la semence quand elle était jeté en terre ? Et pourtant, selon le plan secret du maître d’œuvre qui ordonne merveilleusement le devenir universel, dans la délicatesse de la semence était cachée l’âpreté de l’écorce, dans la fragilité de la semence se voilait la force de sa résistance et dans la sécheresse, la profusion de sa fécondité.

Faut-il donc s’étonner qu’une poussière si tenue, qui échappe même à nos yeux une fois réduite à ses éléments, recouvre forme humaine le jour où le veut Celui qui des semences les plus ténues fait surgir dans leur intégrité des arbres immenses ? Puisque donc nous sommes, par notre constitution même, des êtres doués de raison, l’espérance de notre résurrection devrait s’imposer à notre regard, à notre contemplation même devant le monde extérieur. Mais comme s’est engourdi en nous le jugement de la raison, pour nous donner un exemple nous est venue, de surcroît, la grâce du Rédempteur.

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)

 

 

 

« Malheureuse es-tu, Corazine ! Malheureuse es-tu, Bethsaïde ! »

vendredi 6 octobre 2023

« Il multiplie les nations et il les ruinera : quand elles sont renversées, il les restaure intégralement. » (Jb 12,23 Vg) Sans doute peut-on comprendre que le Seigneur multiplie les nations et les ruinera, parce qu’il naît chaque jour des êtres destinés à mourir, et qu’il restaurera intégralement les nations renversées, parce que ressusciteront ceux qui étaient morts.

Toutefois nous entendons mieux ces paroles si nous percevons comment elles s’accomplissent dans l’âme de ces peuples. Le Seigneur multiplie les nations et il les ruinera, parce que, s’il les accroît par la fécondité de leur descendance, il les abandonne aussi dans leur incroyance. Mais, une fois renversées, il les restaurera intégralement, parce que, ces nations qu’il avait abandonnées dans la chute de leur incroyance, il les a ramenées un jour à la stabilité de la foi. Et quand elles ont été restaurées dans leur intégrité spirituelle, le peuple ancien, qui paraissait être fidèle à Dieu, s’est trouvé réprouvé en son cœur et rejeté, au point que, abusé dans l’égarement de sa foi, il s’est alors dressé contre celui qu’il avait d’abord annoncé.

Le texte poursuit : « Ils tâtonneront comme s’ils étaient dans les ténèbres et non dans la lumière ; et il les fera aller à l’aventure comme des hommes ivres. » (Jb 12, 24-25 Vg)

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)

 

 

 

« Les Douze accompagnaient Jésus, ainsi que des femmes. » (Lc 8, 1-2)

vendredi 22 septembre 2023

« Ma chair consumée, mes os se sont attachés à ma peau. » (Jb 19,20 Vg) Les os désignent la force du corps ; la chair, sa faiblesse. Puisque donc Christ et Église sont une seule personne, que peuvent représenter les os ? le Seigneur ; la chair ? les disciples, qui à l’heure de sa passion n’ont connu qu’une sagesse de faibles. Et la peau, qui est extérieure à la chair et demeure sur le corps, que représente-elle, sinon les saintes femmes, qui, prêtes à une assistance corporelle, servaient le Seigneur dans les charges extérieures.

Quand ses disciples, pourtant si faibles encore, prêchaient aux peuples la foi en la vérité, ils étaient la chair attachée à ses os. Et quand les saintes femmes préparaient ce qui lui était extérieurement nécessaire, elles étaient comme la peau qui demeure extérieurement sur le corps. Mais lorsqu’est arrivée l’heure de la croix, une lourde crainte, devant la persécution des Juifs, a envahi ses disciples : ils ont fui l’un après l’autre, les femmes sont restées là. Ainsi sa chair comme consumée, les os du Seigneur sont restés attachés à sa peau, parce que sa force, devant la fuite des disciples au moment de sa passion, a trouvé ces femmes tout près d’elle. (…) Les femmes, elles, n’ont pas eu peur, elles n’ont pas fui, et même, l’Écriture en témoigne, jusqu’au sépulcre elles ont tenu.

Le Seigneur peut donc dire : « Ma chair consumée, mes os se sont attachés à ma peau. » C’est-à-dire : ceux qui auraient dû être le plus étroitement attachés à ma force ont été consumés de crainte au moment de ma passion, et celles que j’avais chargées de services extérieurs, je les ai trouvées, dans ma passion, sans terreur, fidèlement attachées à moi.

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)

 

 

 

Apprenez à devenir fous pour être sages devant Dieu

mercredi 20 septembre 2023

« Et que je ne trouve pas un seul sage parmi vous. » (Jb 17,10 Vg) Pourquoi, en effet appeler à la sagesse et souhaiter cependant de ne pas trouver sages [les amis de Job], sinon parce que ne peuvent venir à la véritable sagesse des hommes abusés par la suffisance de leur fausse sagesse ? C’est d’eux qu’il est écrit : « Malheur à vous qui êtes sages à vos yeux et devant vous-mêmes prudents ! » (Is 5,21) Et c’est à eux qu’il est dit encore : « Ne vous complaisez pas dans votre propre sagesse. » (cf. Rm 12,16 ; Pr 3,7)

De là vient encore que, si le grand prédicateur [ Paul ] rencontrait des sages selon la chair, il leur demandait d’acquérir la vraie sagesse en commençant par devenir fous : « Si l’un d’entre vous, leur dit-il, se croit un sage au jugement de ce monde, qu’il se fasse fou pour être sage » (1 Co 3,18) et la Vérité dit elle-même : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, toi qui as caché ces choses aux sages et aux prudents et qui les as révélées aux tout-petits. » (Mt 11,25)

Ainsi, comme ceux qui sont sages devant eux-mêmes ne peuvent parvenir à la véritable sagesse, le bienheureux Job, qui désire la conversion de ceux qui l’écoutent, est en droit de souhaiter de ne pas trouver parmi eux un seul sage, c’est-à-dire : apprenez à devenir fous devant vous-mêmes pour pouvoir être véritablement sages devant Dieu.

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)

 

 

 

Ne permets pas que je m’égare !

samedi 26 août 2023

« Lui qui transforme les lèvres des hommes véridiques et ravit aux vieillards leur science. » (Jb 12,20 Vg) Quand le prêtre ne fait pas le bien qu’il prêche, le don même de la parole lui est retiré, pour qu’il n’ait pas le front de dire ce qu’il ne met en pratique, selon la parole du prophète : « Dieu a dit au pécheur : Que viens-tu, toi, raconter mes règles de justice et pourquoi as-tu, toi, mon alliance à la bouche ? » (Ps 49,16) De là encore cette supplication : « Ne ravis jamais à ma bouche la parole de la vérité. » (Ps 118,43) Il le sent profondément en effet, Dieu tout-puissant accorde la parole de vérité à qui la vit et il l’ôte à qui ne la vit pas. Celui donc qui a demandé qu’elle ne soit pas ravie à sa bouche, qu’a-t-il demandé d’autre que la grâce des bonnes œuvres ? C’était dire ouvertement : ne permets pas que je m’égare loin des bonnes œuvres : perdue l’ordonnance d’une sainte vie, c’en serait fait de la rectitude de ma parole.

Très souvent aussi, qu’un docteur ait le front d’enseigner ce qu’il n’a cure de faire, il n’a bientôt plus de paroles pour dire le bien dont il a méprisé la pratique et le voilà enseignant à ceux dont il est le maître les erreurs de sa conduite : sur un juste jugement de Dieu tout-puissant, il n’a plus de langue au service du bien, lui qui refuse de bien vivre ; c’est pour les biens de la terre que son âme s’est embrasée d’amour, c’est des biens de la terre que qu’il va désormais toujours parler. Aussi la vérité dit-elle dans l’Évangile : « C’est du trop-plein du cœur que parle la bouche : c’est d’un bon trésor que l’homme bon apporte de bonnes choses et c’est d’un mauvais trésor que l’homme mauvais apporte de mauvaises choses. » (Mt 12,34-35)

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)

 

 

 

« Vous siégerez vous aussi pour juger. » (Mt 19,28)

mardi 22 août 2023

« Mais cependant je parlerais au Tout-Puissant et je désire discuter avec Dieu. » (Jb 13,3) Nous parlons au Tout-Puissant quand nous nous associons à la justice du maître pour faire passer nos actes au crible d’un scrupuleux examen.

Peut-être aussi discute avec Dieu celui qui, après avoir en ce monde obéi à ses préceptes, vient ensuite en juge, juger les peuples avec Lui, ainsi qu’il est dit aux prédicateurs qui font abandon de tous leurs biens : « Vous qui m’avez suivi, dans la régénération, lorsque le fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes pour juger les tribus d’Israël. » (Mt 19,28) Le Seigneur dit encore par la bouche d’Isaïe : « Délivrez celui qui subit l’injustice, jugez en faveur de l’orphelin, plaidez pour la veuve et venez, discutons. » (Is 1,17) Il est juste en effet qu’il discute avec Dieu, dans son jugement sur les orphelins, l’homme qui, pour se consacrer à la parole de Dieu, renonce sans réserve au siècle présent.

Parler concerne donc la prière ; discuter, le jugement. Le saint, en conséquence, parle maintenant au Tout-Puissant pour discuter ensuite avec le Tout-Puissant, parce que celui qui viendra un jour pour juger avec Dieu est celui qui en ce monde n’aura été que son familier dans la prière.

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)

 

 

 

 

« D’où lui vient tout cela ? » (Mt 13,56)

vendredi 4 août 2023

« Ils tâtonneront comme s’ils étaient dans les ténèbres et non dans la lumière. » (Jb 12,25 Jb) Car s’agiter parmi tant de miracles évidents, c’est tâtonner comme dans les ténèbres : c’est toucher et ne pas voir. Mais tout homme qui va à l’aventure est tiré tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Or tantôt ils se montraient croyants : « Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire » (Jn 9,33) ; tantôt ils disaient que cet homme ne venait pas de Dieu, avec ces paroles de dédain : « N’est-il pas le fils d’un ouvrier, sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie ? et se s frères Jacob, Joseph et Judas et ses sœurs ne sont-elles pas de chez nous ? » (Mt 13,55)

Aussi est-il juste d’ajouter : « Et il les fera aller à l’aventure comme des hommes ivres. » (Jb 12,25 Vg) Ils voyaient, en effet, qu’il ressuscitait les morts et que cependant il était mortel. Lequel d’entre eux n’aurait pas cru Dieu celui qu’ils voyaient ressusciter un mort (cf. Lc 7,14) ? Mais aussi, il était mortel, ils le voyaient de leurs yeux, et leur dédain refusait de le croire immortel, Dieu. Donc en se manifestant à leurs regards en état de faire œuvre divine et de souffrir la condition humaine, Dieu tout-puissant les a fait aller à l’aventure, comme des hommes ivres, afin que leur orgueil, qui, devant le mystère de son incarnation a préféré le dédain à la fidélité, se dresse contre son humanité et en même temps s’étonne au-dedans devant la resplendissante lumière de sa divinité.

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)

 

 

 

Une semonce par zèle d’amour

mardi 18 juillet 2023

« Et plût au ciel que votre âme fût à la place de la mienne ! Je vous consolerais, moi aussi, par mes paroles et je hocherais ma tête au-dessus de vous. Ma bouche saurait vous fortifier et je remuerais mes lèvres comme si je vous épargnais. » (Jb 16,5-6 Vg) Quelquefois devant des esprits sans droiture que ne peut redresser la prédication des hommes, il est nécessaire de leur souhaiter, en toute bonté, les fléaux de Dieu. Car si l’on en vient là dans le zèle d’un grand amour, ce n’est pas certes pas un châtiment que l’on demande pour l’égaré, mais une semonce, c’est une prière qui s’exprime ainsi plutôt qu’une malédiction.

Il faut le remarquer, Job ne dit pas : « Plût au ciel que mon âme fût à la place de la vôtre ! » car il n’aurait fait que se maudire lui-même s’il avait souhaité de devenir semblable à eux. Ce qu’il a voulu, c’est l’élévation de ceux auxquels il avait souhaité un sort semblable au sien. Or nous consolons les esprits sans droiture au milieu des flagellations quand nous leur faisons voir que les coups du dehors affermissent en eux leur salut intérieur. Et nous hochons la tête quand nous infléchissons leur esprit, qui est la partie maîtresse de notre être, vers la compassion. Et nous les fortifions au milieu des flagellations quand nous clamons la violence de leur douleur par la douceur de nos paroles.

On trouve, en effet, des hommes qui, pour être fermés à la vie intérieure, se trouvent abattus par les coups du dehors jusqu’au désespoir, ce qui fait dire au Psalmiste : « Ils ne résisteront pas dans les malheurs » (Ps 139,11 Vg), car seul est à même de résister aux malheurs extérieurs, celui qui demande toujours sa joie à son espérance intérieure.

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)

 

 

 

« Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière. »

dimanche 25 juin 2023

« Il enlève aux profondeurs leur voile de ténèbres et il amène à la lumière l’ombre de la mort. » (Jb 12,22 Vg) Lorsque le croyant saisit le sens mystérieux des paroles obscures des Prophètes, que fait-il donc ? n’enlève-t-il pas aux profondeurs leur voile de ténèbres ? Voilà pourquoi, en s’adressant à ses disciples, la Vérité dit aussi : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière. » (Mt 10,27)

Quand, en effet, nos commentaires défont les nœuds mystérieux des allégories, nous disons dans la lumière ce que nous avons entendu dans les ténèbres. Or l’ombre de la mort, elle, c’était la dureté de la Loi, qui prescrivait pour tout pécheur la punition de la mort physique. Mais lorsque notre Rédempteur a tempéré dans sa mansuétude l’âpreté de la prescription de la Loi, lorsqu’il a établi que ce n’était plus la mort du corps qui était la sanction de la faute, et révélé combien était à redouter la mort de l’âme, il a manifestement amené en pleine lumière l’ombre de la mort. Car une mort qui sépare la chair de l’âme n’est que l’ombre de celle qui sépare l’âme de Dieu. L’ombre de la mort est donc amenée à la lumière lorsque, comprenant ce qu’est la mort de l’esprit, on cesse de craindre la mort de la chair. (…)

Le Seigneur, en effet, enlève aux profondeurs leur voile de ténèbres lorsqu’Il met en pleine lumière le jugement qui procède de ses secrets conseils, afin de manifester son sentiment sur chacun de nous.

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)

 

 

 

 

Le piège de l’orgueil

samedi 3 juin 2023

« Je vais t’éclairer, écoute-moi : je vais te raconter ce que j’ai vu. » (Jb 15,17 Vg) Le propre de l’arrogant, c’est de ne jamais avoir, si faible soit-il, le sentiment de la droiture sans l’infléchir au service de l’orgueil ; c’est de ne s’élever par sa propre intelligence au-dessus de lui-même que pour tomber, bouffi de vanité, dans le piège de l’orgueil ; c’est de se croire plus savant que les savants ; c’est de revendiquer le respect de qui vaut mieux que soi ; c’est, devant plus saint que soi, de prétendre enseigner avec un air d’autorité. De là cette parole : « Je vais t’éclairer, écoute-moi. » (…)

Après cette parole : « L’impie est orgueilleux en chacune de ses journées » (Jb 15,20 Vg), Job ajoute : « Et le nombre des jours de sa tyrannie est incertain. » Autrement dit : Pourquoi s’enorgueillir de je ne sais quelle certitude, quand la peine de l’incertitude est le lot de la condition humaine ? Mais aux hommes d’une vie dépravée, Dieu tout-puissant ne réserve pas seulement les supplices de la vie futur ; ici-bas déjà, à l’heure de leurs défaillances, il enserre leur cœur dans les châtiments : en péchant, ils se frappent eux-mêmes, toujours tremblants, toujours défiants, dans la crainte de souffrir des autres ce qu’ils se souviennent d’avoir fait aux autres.

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)