Le jour de la conception Immaculée de la Sainte Vierge, j’ai résolu de m’abandonner tellement à Dieu, qui est toujours en moi et en qui je suis et je vis, que je ne me mette nullement en peine de ma conduite, non seulement extérieure, mais même intérieure, reposant doucement entre ses bras sans craindre ni tentation, ni illusion, ni prospérité, ni adversité, ni mes mauvaises inclinations, ni mes fautes mêmes, espérant qu’il conduira tout par sa bonté et sa sagesse infinie, de telle sorte que tout réussira à sa gloire ; de ne vouloir ni être aimé, ni être soutenue de personne ; voulant avoir en lui et mon père, et ma mère, et mes frères, et mes amis, et tout ce qui pourrait avoir pour moi quelque sentiment de tendresse.
Il me semble qu’on est bien à son aise en un asile si sûr et si doux, et que je n’y dois craindre ni les hommes, ni les démons, ni moi-même, ni la vie, ni la mort. Pourvu que Dieu m’y souffre, je suis trop heureux. Il me semble qu’en cela j’ai trouvé le secret de vivre content, et que désormais tout ce que je craignais dans la vie spirituelle ne me doit plus faire de peur.
Aujourd’hui le Créateur de toutes choses, Dieu le Verbe, a composé un ouvrage nouveau, jailli du cœur du Père pour être écrit, comme avec un roseau, par l’Esprit qui est la langue de Dieu. (…) Fille toute sainte de Joachim et d’Anne, qui échappas aux regards des Principautés et des Puissances et « aux flèches enflammées du Mauvais » (Col 1,16 ; Ep 6,16), tu vécus dans la chambre nuptiale de l’Esprit, et fus gardée intacte pour devenir épouse de Dieu et Mère de Dieu par nature ! (…) Fille aimée de Dieu, l’honneur de tes parents, les générations des générations te disent bienheureuse, comme tu l’as affirmé avec vérité (Lc 1,48). Fille digne de Dieu, beauté de la nature humaine, réhabilitation d’Ève notre première mère ! Car par ta naissance, celle qui tomba est relevée. (…) Si, par la première Ève « la mort a fait son entrée » (Sg 2,24 ; Rm 5,12), parce qu’elle s’était mise au service du serpent, Marie, elle, qui s’est fait la servante de la volonté divine, a trompé le serpent trompeur et introduit dans le monde l’immortalité. (…)
Tu es plus précieuse que toute la création, car de toi seule le Créateur a reçu en partage les prémices de notre humanité. Sa chair fut faite de ta chair, son sang de ton sang ; Dieu s’est nourri de ton lait, et tes lèvres ont touché les lèvres de Dieu. (…) Dans la prescience de ta dignité, le Dieu de l’univers t’a aimée ; comme il t’aimait, il t’a prédestinée et « dans les derniers temps » (1P 1,20) il t’a appelée à l’existence (…).
Que Salomon le très sage se taise ; qu’il ne dise plus : « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » (Eccl 1,9).
Si la foi, comme dit l’Apôtre, n’est autre chose que « le fondement des choses à espérer » (Eb 11, 1), on conviendra aisément que puisque l’Immaculée Conception de Marie confirme notre foi, elle ravive aussi en nous l’espérance. D’autant plus que si la Vierge a été affranchie de la tache originelle, c’est parce qu’elle devait être la Mère du Christ : or, elle fut Mère du Christ afin que nos âmes pussent revivre à l’espérance.
Et maintenant, pour omettre ici la charité à l’égard de Dieu, qui ne trouverait dans la contemplation de la Vierge immaculée un stimulant à observer religieusement le précepte de Jésus Christ, celui qu’il a déclaré sien par excellence, à savoir que nous nous aimions les uns les autres, comme il nous a aimés ? « Un grand signe est apparu dans le ciel : une femme, revêtue du soleil, ayant sous ses pieds la lune, et, autour de sa tête, une couronne de douze étoiles » (Ap 12,1). Or, nul n’ignore que cette femme signifie la Vierge Marie, qui, sans atteinte pour son intégrité, engendra notre Chef.
Et l’Apôtre de poursuivre : « Ayant un fruit en son sein, l’enfantement lui arrachait de grands cris et lui causait de cruelles douleurs » (Ap 12,2). Saint Jean vit donc la très sainte Mère de Dieu au sein de l’éternelle béatitude et toutefois en travail d’un mystérieux enfantement. Quel enfantement ? Le nôtre assurément, à nous qui, retenus encore dans cet exil, avons besoin d’être engendrés au parfait amour de Dieu et à l’éternelle félicité. Quant aux douleurs de l’enfantement, elles marquent l’ardeur et l’amour avec lesquels Marie veille sur nous du haut du ciel, et travaille, par d’infatigables prières, à porter à sa plénitude le nombre des élus.
C’est notre désir que tous les fidèles s’appliquent à acquérir cette vertu de charité, et profitent surtout pour cela des fêtes (…) en l’honneur de la Conception immaculée de Marie.
Que te bénisse, mon Dieu, ô ma douceur, la sainte gloire de ta divinité dont tu as daigné remplir et combler durant neuf mois les chastes entrailles de la Vierge Marie. Que te bénisse la très haute puissance de ta divinité, qui s’est inclinée jusque dans les profondeurs de cette vallée virginale. Que te bénisse la toute-puissance si ingénieuse, ô Dieu très-haut, qui a répandu sur la rose virginale tant de vertu, de grâce et de beauté, que toi-même as pu la désirer. Que te bénisse ton admirable sagesse, dont la grâce abondante a fait que toute la vie de Marie, en son corps en même temps qu’en son âme, fût conforme à ta dignité. Que te bénisse ton amour fort, sage et très doux, qui a fait que toi, fleur et époux de la virginité, tu deviennes le fils d’une vierge. (…)
Que jubilent à toi, pour moi, le cœur très digne et l’âme de la très glorieuse Vierge Marie, ta mère, que tu as choisie pour être ta mère à cause des nécessités de mon salut, afin que toujours soit accessible pour moi sa maternelle clémence. Que jubile à toi le soin très fidèle que tu as pris de moi, en me procurant une si puissante et si bonne avocate et patronne, par qui je puisse si facilement obtenir ta grâce, et en qui, je le crois avec confiance, tu m’as réservé ton éternelle miséricorde. Que jubile à toi cet admirable tabernacle de ta gloire, qui seul t’a servi dignement quand il t’offrait une sainte habitation, et par lequel tu peux, pour toi-même, parfaitement suppléer en ma place, à la mesure de la louange et de la gloire que je te dois.
Lorsque vint la plénitude des temps (Gal.4, 4), de même qu’au sixième jour, l’homme fut formé de la terre par la puissance et la sagesse de la main divine, au commencement du sixième âge du monde, l’archange Gabriel fut envoyé à la Vierge et celle-ci donna son consentement. L’Esprit Saint descendit sur elle, embrasant comme un feu divin son âme et sanctifiant sa chair de la pureté la plus parfaite, et « la vertu du Très-Haut la couvrit de son ombre » (cf. Lc 1,35) afin qu’elle pût supporter semblable ardeur. Ainsi par l’opération du Très-Haut, instantanément un corps fut formé, une âme créée et en même temps les deux furent unis à la divinité en la personne du Fils, afin que le même fût Dieu et Homme, les propriétés de chacune des deux natures demeurant sauves.
Oh ! Si tu pouvais un tant soit peu comprendre quel fut, et de quelle immensité, l’incendie alors allumé du ciel, le rafraîchissement procuré, la consolation accordée ! À quelle dignité fut élevée la Vierge Mère ! Quel fut l’ennoblissement du genre humain et quelle la condescendance de la Majesté divine ! Si tu pouvais entendre les chants de jubilation de la Vierge, gravir la montagne avec Notre-Dame, contempler les suaves embrassements de la Stérile et de la Vierge, et la manière dont est rempli le devoir de se saluer, manière en laquelle l’humble serviteur reconnaît son Seigneur ; le héraut, son Juge ; la voix, le Verbe ! je suis sûr qu’alors tu entonnerais en suaves accents avec la Bienheureuse Vierge le cantique sacré : « Que mon âme glorifie le Seigneur… » (Lc 1,46). Je suis sûr qu’avec joie et transport tu te joindrais au Prophète enfant pour adorer l’admirable conception virginale.
Saint Bonaventure (1221-1274), franciscain, docteur de l’Église
L’Arbre de Vie, n°3 (Œuvres spirituelles, tome 3, Sté S. François d’Assise, 1932, pp.68-69 ; trad. du P. Jean de Dieu ; rev.)
Vraiment, il est juste et bon de te rendre gloire,
de t’offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu,
à toi, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant.
Car tu as préservé la Vierge Marie
de toutes les séquelles du premier péché,
et tu l’as comblée de grâce (Lc 1,28)
pour préparer à ton Fils
une mère vraiment digne de lui ;
en elle, tu préfigurais l’Église,
la fiancée sans ride, sans tache,
resplendissante de beauté (Ep 5,27).
Cette vierge pure devait nous donner le Sauveur,
l’Agneau immaculé qui enlève nos fautes (Jn 1,29).
Choisie entre toutes les femmes,
elle intervient en faveur de ton peuple
et demeure pour lui l’idéal de la sainteté.
C’est pourquoi, avec tous les anges du ciel,
pleins de joie, nous chantons :
Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur, Dieu de l’univers !
Le Missel romain
Préface de la fête